Bonne Année 2011! J'ai délaissé mon blog dernièrement, mais j'avais de bonnes excuses: les fêtes, les vacances, et puis ensuite j'étais malade... Bon, maintenant que tout est revenu en ordre, j'ai pu retourner en cours de japonais au centre international de Motosumiyoshi. Lors de mon dernier cours, nous avons travaillé à partir d'articles de journaux évoquant un phénomène qui interpelle tout le monde au Japon ces jours-ci.
Tout a commencé le 25 décembre 2010. Dans la préfecture de Gunma (au Nord de Tokyo), un individu a, anonymement, déposé 10 cartables devant un centre d'aide éducative pour enfants défavorisés. Il l'a accompagné d'un message "utilisez cela pour les enfants" et a signé Date Naoto.
Parenthèse culturelle importante pour comprendre la suite: les cartables japonais des écoliers du primaire coûtent très, très cher. Appelés "randoseru", ils sont tous faits sur le même modèle et ressemblent à cela :
Leur origine remonte à la modernisation du Japon, il y a environ 150 ans. Le Japon a alors pris modèle sur l'Occident pour de très nombreuses choses, dont l'éducation, et les uniformes scolaires faisaient partie du lot. C'est comme ça qu'aujourd'hui, tous les écoliers se baladent encore avec ces choses qui semblent fort peu pratiques (et à l'ergonomie douteuse). La qualité de l'objet est aussi à l'ancienne: quand on en achète un, on le garde jusqu'au collège. Du coup, ils coûtent un bras: entre 150 et 400€ en moyenne.
Cela pose problème aux enfants de familles pauvres, et aux orphelins: ne pas avoir son randoseru est inconcevable, oui mais comment on fait quand on n'a pas d'argent ?
C'est là que le geste de "Date Naoto" fait de lui un héros : en donnant des cartables aux enfants pauvres, il leur permet d'aller à l'école dans les mêmes conditions que tous les autres petits écoliers.
Mais ce n'est que le début de l'histoire. Date Naoto, en fait, c'est un pseudonyme. C'est le nom du héros d'un manga des années 60 : "Tiger Mask".
Dans cette histoire, Date Naoto est un orphelin qui, adulte, devient une star du catch sous le nom de Tiger Mask... et il redistribue tous ses gains à l'orphelinat dans lequel il a grandi.
L'histoire du gentil catcheur de fiction qui inspire un donateur dans la vraie vie a ému les media qui l'ont relayé dans les journaux et à la télé. Et le 1er janvier, ça a recommencé : à Odawara (au sud de Tokyo cette fois), on a trouvé 6 cartables devant un établissement d'aide sociale à l'enfance. Et depuis, ce sont en tout 13 cas de dons anonymes signés "Date Naoto" qui ont été répertoriés: dons de cartables principalement, mais aussi de fournitures scolaires, d'argent liquide, et de DVD de films pour enfants.
L'information fait beaucoup de bruit : cette vague de solidarité anonyme, spontanée, émeut de nombreux Japonais qui se disent qu'ils devraient faire davantage de dons aux pauvres. C'est ce que nous a expliqué notre professeur de japonais ce matin: apparemment, les statistiques montrent que les Japonais donnent très très peu aux associations caritatives, par rapport aux Américains notamment. (Au passage, notre professeur culpabilisait sans se rendre compte qu'étant professeur bénévole pour étrangers, il fait déjà pas mal sa part...)
L'une des choses consternantes dans l'affaire, c'est que les dons ont parfois été saisis par la police, ou parfois donnés directement aux policiers avec instruction de redistribuer aux enfants. Sauf que les gentils policiers pas procéduriers pour un sou ont dit que comme on ne sait pas qui est le vrai "Date Naoto" (et qu'il y en a sans doute plusieurs), les cartables sont à considérer comme des objets trouvés, et qu'ils doivent donc être conservés minimum trois mois avant d'être transférés aux institutions départementales qui en disposeront. Ce qui fera rater l'échéance de la rentrée scolaire, en mars. Donc tout va peut-être tomber à l'eau. Un chef de police local, interviewé dans l'article que j'ai lu, reconnaît que c'est drôlement embarrassant, mais que le donateur n'a qu'à donner son nom et ce sera plus simple.
Moi, le truc qui me choque là-dedans, c'est que ce soient des cartables qui soient offerts. Sur des sites internet français et anglais j'ai lu qu'il y avait des jouets dans les cartables... mais rien de tel dans les articles japonais que j'ai sous les yeux. Des jouets, ça fait tout de suite plus Père-Noël-gentil et tout. Faire des dons de cartables, c'est quand même cruellement pragmatique. Et absurde aussi, dans un sens: à des établissements qui s'occupent des enfants pauvres qui manquent de tout, on offre des cartables qui valent des centaines d'euros! Pourquoi ne pas plutôt supprimer cette règle du cartable qui coûte la peau des fesses? Si on décrétait que chacun peut venir avec un sac à dos lambda (quitte à émettre des limites de couleur ou de taille pour que ça reste "uniformisé"), on pourrait s'attaquer à offrir autre chose aux enfants. C'est comme offrir un article de luxe a quelqu'un qui crève de faim... C'est bien mais...Il y a un déséquilibre là-dedans que j'ai du mal à encaisser, malgré mes efforts pour ne pas faire de jugement de valeur à l'emporte-pièce.
En prime il y a aussi des mauvaises langues qui parlent de coup marketing... Depuis cette histoire, les ventes du manga Tiger Mask et des films dérivés explosent: les magasins sont même en rupture de stock.