jeudi 26 mai 2011

Posters de setsuden

Depuis le 11 mars, on peut voir énormément de posters créés par des illustrateurs et graphistes japonais pour inciter au setsusen (économies d'énergie) ou simplement pour dire "Courage, le Japon!".
Samedi dernier, je suis passée devant le temple Honganji de Tsukiji, à Tokyo, et sur tous les murs d'enceinte étaient alignés des affiches de ce genre.
Voici quelques-uns de ceux que j'ai préférés...

Le poster du milieu dit : avec la lumière que vous aurez éteinte, quelqu'un pourra allumer la sienne.

La grue, symbole de longévité, et d'espoir... Fait penser à celles qui sont déposées devant le Genpatsu-dome à Hiroshima.

Affiche du milieu : "Vous n'êtes pas seul. Nous sommes un."


Affiche de gauche: "Allumons la lampe du coeur"


En plus d'être jolis à regarder, ces posters dégagent quelque chose de vraiment positif. Toute cette effervescence créative, ces couleurs, nées pourtant d'une catastrophe sans pareille... L'optimisme forcené qui en ressort mettait du baume au cœur à tous les passants, je crois.

mardi 17 mai 2011

Pétition - Refusons l’exposition des enfants japonais à des doses élevées de radioactivité

Je profite de mon blog (même si son audience est plus que modeste) pour relayer le texte de la pétition lancée par le réseau "Sortir du nucléaire" ainsi que des associations internationales et japonaises (notamment Greenpeace Japan). Il concerne l'exposition des enfants des écoles du département de Fukushima à des doses de radiations dangereuses pour leur santé, présente et à venir.

Le texte s'adresse à l'ambassadeur du Japon en France. Des associations japonaises, à commencer par celle des mères des élèves de Fukushima, tentent de faire connaître le problème, et pourtant, mes amis japonais ici n'en ont pas entendu parler...  Cela justifie, je pense, que l'on passe par l'étranger, afin de tenter d'améliorer la visibilité de cette affaire.

À l’attention de M. Yasuo SAITO, Ambassadeur du Japon en France

Votre Excellence,
En France comme en Allemagne, 20 mSv/an est le seuil maximal d'irradiation recommandé pour "les personnes affectées à des travaux sous rayonnements ionisants", c'est-à-dire pour les travailleurs du nucléaire. Au Japon, la loi sur les normes du travail interdit aux personnes de moins de 18 ans de travailler dans ces conditions. De plus, les nourrissons et les enfants sont plus vulnérables que les adultes aux effets sanitaires néfastes de la radioactivité.
Or, le 19 avril 2011, le gouvernement japonais a décidé de relever de 1 mSv/an à 20 mSv/an la norme de radioprotection pour les écoles de la préfecture de Fukushima. Permettre que des enfants soient exposés à de telles doses de rayonnements est révoltant et inhumain.
Nous condamnons fermement cette décision intolérable. C’est pourquoi, M. Saito, nous demandons instamment l'annulation immédiate de cette décision du gouvernement nippon autorisant l’exposition des enfants japonais à des doses de radioactivité pouvant atteindre 20 mSv/an.
Actuellement, 75 % des écoles élémentaires et intermédiaires de la préfecture de Fukushima présentent des niveaux de contamination tels qu'elles relèvent de « zones de contrôle des rayonnements » (0,6 microSv/h ou plus). Pire encore, 20 % des écoles relèvent de « zones individuelles contrôlées sur l'exposition » (2,3 microSv/h ou plus) et présentent une situation radiologique extrêmement dangereuse.
Aucune dose de radioactivité n'est inoffensive. La très officielle Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) admet elle-même que « toute dose de rayonnement comporte un risque cancérigène et génétique ». Les normes d'exposition ne correspondent en aucun cas à des seuils d'innocuité scientifiquement fondés ; elles définissent seulement des niveaux de « risque admissible ». Admissible par qui ? Par ceux qui décrètent les normes, ou par ceux qui les subissent en pratique?
M. Saito, à ce jour, les nombreuses associations japonaises * qui se sont élevées contre cette décision n'ont eu aucune réponse tangible à leurs questions : pourquoi, comment et par qui cette décision a-t-elle été prise?
Ces questions sont aussi posées par M. Toshisô Kosako, qui a démissionné le 29 avril de son poste de conseiller spécial du Premier Ministre japonais en matière de protection contre la radioactivité. Lors d'une conférence de presse, le professeur Kosako, en larmes, a déclaré qu' "il est tout à fait inacceptable d'appliquer une telle limite de dose à des enfants en bas âge, et à des élèves de classe primaires, et il est urgent de revenir sur cette décision".
Votre Excellence, nous demandons instamment que le gouvernement japonais annule immédiatement la décision autorisant l'exposition des enfants à des doses d'irradiation pouvant atteindre 20 mSv/an, et prenne au contraire toutes les dispositions nécessaires pour les préserver de l'exposition à la radioactivité.
Nous demandons également que le gouvernement japonais rende public sans délai le nom des experts qui ont avalisé cette décision inhumaine.
Votre Excellence, nous espérons que vous mettrez tout en œuvre pour que votre gouvernement fasse droit aux demandes légitimes des associations japonaises * - des demandes qui sont aussi les nôtres. Nous vous prions de croire, M. Saito, à notre haute considération, ainsi qu'à notre vigilance quant aux mesures prises par le gouvernement japonais pour protéger ses citoyens.

Nous adressons nos pensées solidaires et notre soutien au peuple japonais dans les terribles épreuves qu’il affronte aujourd’hui.

* Pétition lancée par les associations Green Action, Greenpeace Japan, Citizens' Nuclear Information Center, Citizens Against Fukushima Aging Nuclear Power Plants (Fukuro-no-Kai), Osaka Citizens Against the Mihama, Oi, and Takahama Nuclear Power Plants (Mihama-no-Kai), Friends of the Earth Japan. Voir : http://fukushima.greenaction-japan.com/ et http://blog.canpan.info/foejapan/daily/201104/24. Voir aussi l'appel au secours lancé par le collectif japonais des Mères réunies pour Sauver les Enfants des Radiations : http://mscr2011.jugem.jp/?eid=4


Vous pouvez aussi agir en téléphonant à l'ambassade ou en envoyant des mails: la marche à suivre est expliquée ici. 


Merci!

mercredi 11 mai 2011

Fukkô


Bon, alors, déjà, le setsuden, tout ça, oubliez tout ce que je vous ai dit. Les deux pauvres escalators de ma gare ne fonctionnent toujours pas, mais juste à côté, un bâtiment commercial tout neuf, dont aucune enseigne n’a encore ouvert à l'étage, fait fonctionner les siens toute la journée. Le rôdage, sûrement…
Et surtout, l’autre soir, à Shinjuku, à part quelques rares immeubles plongés dans le noir, tout était comme d’habitude : écrans publicitaires géants hurlant sur les façades, queues devant les restaurants, magasins remplis à 22h.

Tout ceci sans doute lié, une fois de plus, au leitmotiv du moment : « tout est normal, rien à signaler. » De très nombreuses initiatives voient le jour afin de revenir à une activité normale, et pour cela incitent à la consommation pour relever le pays. Soutenir le Tôhoku par des achats, c’est le fukkô, la « reconstruction ». Belle idée, mais dont la question des limites se pose, si l’on est un tout petit peu cynique : aucun vendeur de voiture qui n’affiche un « achetez pour le Japon ! », aucun fabricant d’électro-ménager qui ne fasse de pub pour ses appareils « écologiques » qui utilisent moins d’électricité. Soit, l’économie en tant que système global se relance par la consommation ; à qui exactement cela profite pour le moment, c’est une autre affaire.

Là où, pour ma part, ça coince vraiment, c’est au niveau des campagnes du gouvernement pour le fukkô. Je préfère préciser d’avance que ce que j’écris n’engage que moi, et je ne l’écris que sur la base de ce que je vois tous les jours et entends de la bouche de mes amis et connaissances ici. Je ne suis experte ni en média japonais, ni en nucléaire.

Le gouvernement, donc, a lancé une campagne pour le « fukkô », s’adressant à tous les Japonais, pour engager chacun à accomplir de petits actes du quotidien qui, mis bout à bout, mèneront au rétablissement du pays. Dans ces affiches que j’ai vues dans tous les trains que j’ai emprunté à Tokyo depuis deux semaines, on peut notamment lire qu’un des actes de soutien au pays, donc acte qu’on peut dire « patriotique », consiste à manger des salades de légumes du Tôhoku. Ha. 



Alors, évidemment, le département de Fukushima, et même les départements limitrophes, ne sont pas l’ensemble du Tôhoku, et il ne faut pas tout confondre. Evidemment, c’est bien de vouloir éviter les réactions de rejet radicales : certaines personnes venues de la zone évacuée se sont déjà fait refuser dans des hôtels et traiter en pestiférées, et cela, c’est très grave.

Mais le problème est que le débat sur la contamination des aliments n’a pas lieu. Le pic de radioactivité est passé, circulez, y’a rien à voir. Ou plutôt si : des ministres croquant des tomates de Fukushima en disant qu'elles sont très bonnes. Fin du "débat".
Et force est de constater qu’il n’est pas de bon ton de vouloir savoir d’où proviennent les légumes que l’on a dans son assiette. Il est même carrément tabou d’en parler : chacun fait ses courses sans montrer de suspicion, et cela même si les boîtes d’œufs et les briques de lait (toujours cru ici, pas d'UHT)  n’ont aucune mention d’origine. Aucun restaurant n’affiche d’information de provenance pour rassurer la clientèle, et bien sûr, personne ne pose de question sur les ingrédients du menu.  

Pire : se méfier est, en réalité, un acte anti-patriotique. Le discours ambiant est clair : il faut être soudés, aller tous ensemble de l’avant vers la reconstruction, et cela implique de ne pas remettre en cause ce que dit le gouvernement. Pour enfoncer le clou, une bonne dose de culpabilisation de ceux qui voudraient réfléchir par eux-mêmes n’est pas de trop.
Entendu la semaine dernière dans mon cours :
« J’ai vu des épinards qui étaient passés de 100 yens (=0,80 €) à 10 yens la botte au magasin ! C’étaient des épinards qui venaient de Fukushima. Les pauvres agriculteurs, il faut acheter leurs produits ! S’ils sont en vente, c’est bien qu’ils sont bons d’après les critères de contrôle du gouvernement. »
En fait, il y a même des associations de personnes qui encouragent à acheter des légumes provenant spécifiquement de Fukushima. 


Individuellement, il y a bien sûr des Japonais qui émettent des doutes ; mais la plupart d’entre eux évitent d’en parler trop fort. L’une des idées que j’ai entendues d’une amie est que les habitants de Tokyo culpabilisent vis-à-vis des habitants de Fukushima, car la centrale qui a détruit leur région alimentait la capitale en électricité. C’est donc aux Tokyoïtes, bénéficiaires de cette énergie, de faire quelque chose pour les sinistrés, et notamment les agriculteurs qui risquent la faillite. Comme si la responsabilité du choix nucléaire retombait sur les épaules de millions d’individus… alors que ceux-là n’ont jamais eu leur mot à dire dans le débat. Débat qui n’a de toute façon pas eu lieu (encore un), puisque les chercheurs anti-nucléaires n’ont pas voix au chapitre à l’université, et que les centrales ont été vendues avec des campagnes de communication où le nucléaire fait partie des énergies qui protègent la nature et les pingouins trop mignons, au même titre que le solaire et l’éolien…


L’hypocrisie de cette culpabilisation est de toute façon manifeste : qui mange des légumes de Fukushima en grande quantité aujourd’hui ? Les clients des chaînes de restaurant les moins chères (il faut que je retrouve la source). Et les enfants des écoles de Fukushima, à la cantine ; écoles dont le gouvernement a autorisé la réouverture en remontant le seuil acceptable de radioactivité pour un enfant à 20 millisieverts, soit la dose maximale en France pour les employés des centrales

Je ne prétends pas détenir de solution ; le préjudice porté à la région sinistrée est catastrophique, un agriculteur de Fukushima s’est déjà suicidé. Mais la gestion du problème donne vraiment le sentiment d’une politique de l’autruche, pour ne pas dire « criminelle », comme une amie Japonaise. L’associer à l’idée de patriotisme fait tout simplement peur.

Ici et là, je vois quelques affiches de "fukkô" franchement nationalistes. J’entends plus souvent qu'avant les camions noirs passer dans la rue… Je ne suis pas la seule à l’avoir remarqué. Espérons que ça n’a rien à voir.

mercredi 4 mai 2011

Retour au Japon


Je suis de retour au Japon. Je suis rentrée le 20 avril. D’abord à Gifu, ville tranquille entre les montagnes qui la protègent, et où la vie n’a pas été trop dérangée depuis le 11 mars. Et depuis une semaine environ, c’est Tokyo à nouveau.

Je ne savais pas à quoi m’attendre en rentrant. J’avais regardé le Japon pendant 5 semaines à travers le miroir déformant des media français, qui exagèrent parfois, pas toujours, mais qui sont surtout le reflet de certaines réactions françaises aux antipodes des réactions japonaises. J’aurais dû me douter qu’une fois ici, le Japon présenterait le visage d’un convalescent, mobilisant toutes ses forces pour sourire et dire que tout va bien. Tous ensembles, dans le courage, le soutien. Tous, déjà, en avant vers la reconstruction, pour se relever le plus vite possible. Pas de temps pour s’apitoyer, ou alors ça a été rapidement évacué pendant que je n’étais pas là. Un peu trop rapidement, peut-être?

La vie est donc normale ici. A quelques détails près.

Devant les gares, des groupes de jeunes, par trois le plus souvent, s’usent la voix  à longueur de journées. Leurs cris sont des appels aux dons pour des initiatives de soutien aux sinistrés du Tohoku. Dans ce pays où personne ne fait jamais la manche, leurs demandes prennent des airs de suppliques, accompagnées de nombreuses phrases de politesse. Ponctuées de longues inclinations devant la foule des passants.

Dans les trains, des espaces blancs se révèlent entre les publicités. Je n’avais jamais remarqué ces numéros qui organisent l’espace publicitaire, le démultiplient, dans chaque compartiment, au dessus des portes, sur les portes, entre les portes et les sièges, au dessus des sièges, au dessus des allées… Le blanc est criard et signale maintenant leur absence. Pudeur, messages inadéquats dans la situation actuelle? Je ne sais pas pourquoi ces publicités ont disparu. Je ne peux malgré tout m'empêcher de trouver cet espace de silence bienvenu.

Les économies d’électricité, ou setsuden, sont devenues la priorité des habitants du Kantô. Sans la centrale de Fukushima pour l’alimenter, Tokyo va faire face à une pénurie d’électricité, qui pourrait être assez sévère cet été (pas de climatisation, programme peu réjouissant lorsqu’il fera 35° et 90% d’humidité…). Ici et là, des panneaux indiquent que tels projecteurs devant des bâtiments ne s’allumeront pas le soir. Des escalators ne fonctionnent pas, avec un petit écriteau d’excuses. Des messages signalent que telle ligne de train ne fonctionnera qu’à 80% de sa capacité les jours fériés. L’éclairage cru des gares est atténué. L’immense panneau publicitaire pour le pachinko d’en face de mon appartement n’allume plus ses néons.
… autant de détails qui, en fin de compte, ne génèrent quasiment aucune gêne. L’occasion de se rendre compte que le régime de consommation habituel d’électricité est plutôt une surconsommation, un gâchis phénoménal.
A la maison aussi, quelques gestes deviennent des habitudes rapidement : ne pas laisser d’appareils en veille. Chauffer l’eau à la casserole plutôt qu’à la bouilloire électrique.
Et de peur d’un nouveau tremblement de terre, fermer le robinet à gaz après chaque utilisation. Ranger le four, situé dangereusement en haut d’une étagère, quand on ne s’en sert pas.

Mais pour le moment, ça ne tremble pas. Mon cerveau me joue des tours à chaque instant, j’ai dû trop rejouer la scène du 11 mars dans ma tête. Je pense sentir une oscillation, je regarde le fil du plafonnier : il ne bouge pas.

Non, tout est normal. Ou presque.

Mais quand même, au karaoke, une chanson d’après-guerre a refait son apparition. Elle dit d’aller en avant, la tête levée, pour empêcher les larmes de couler. Elle dit que même seul dans la nuit, il faut marcher…