Je suis de retour au Japon. Je suis rentrée le 20 avril. D’abord à Gifu, ville tranquille entre les montagnes qui la protègent, et où la vie n’a pas été trop dérangée depuis le 11 mars. Et depuis une semaine environ, c’est Tokyo à nouveau.
Je ne savais pas à quoi m’attendre en rentrant. J’avais regardé le Japon pendant 5 semaines à travers le miroir déformant des media français, qui exagèrent parfois, pas toujours, mais qui sont surtout le reflet de certaines réactions françaises aux antipodes des réactions japonaises. J’aurais dû me douter qu’une fois ici, le Japon présenterait le visage d’un convalescent, mobilisant toutes ses forces pour sourire et dire que tout va bien. Tous ensembles, dans le courage, le soutien. Tous, déjà, en avant vers la reconstruction, pour se relever le plus vite possible. Pas de temps pour s’apitoyer, ou alors ça a été rapidement évacué pendant que je n’étais pas là. Un peu trop rapidement, peut-être?
La vie est donc normale ici. A quelques détails près.
Devant les gares, des groupes de jeunes, par trois le plus souvent, s’usent la voix à longueur de journées. Leurs cris sont des appels aux dons pour des initiatives de soutien aux sinistrés du Tohoku. Dans ce pays où personne ne fait jamais la manche, leurs demandes prennent des airs de suppliques, accompagnées de nombreuses phrases de politesse. Ponctuées de longues inclinations devant la foule des passants.
Dans les trains, des espaces blancs se révèlent entre les publicités. Je n’avais jamais remarqué ces numéros qui organisent l’espace publicitaire, le démultiplient, dans chaque compartiment, au dessus des portes, sur les portes, entre les portes et les sièges, au dessus des sièges, au dessus des allées… Le blanc est criard et signale maintenant leur absence. Pudeur, messages inadéquats dans la situation actuelle? Je ne sais pas pourquoi ces publicités ont disparu. Je ne peux malgré tout m'empêcher de trouver cet espace de silence bienvenu.
Les économies d’électricité, ou setsuden, sont devenues la priorité des habitants du Kantô. Sans la centrale de Fukushima pour l’alimenter, Tokyo va faire face à une pénurie d’électricité, qui pourrait être assez sévère cet été (pas de climatisation, programme peu réjouissant lorsqu’il fera 35° et 90% d’humidité…). Ici et là, des panneaux indiquent que tels projecteurs devant des bâtiments ne s’allumeront pas le soir. Des escalators ne fonctionnent pas, avec un petit écriteau d’excuses. Des messages signalent que telle ligne de train ne fonctionnera qu’à 80% de sa capacité les jours fériés. L’éclairage cru des gares est atténué. L’immense panneau publicitaire pour le pachinko d’en face de mon appartement n’allume plus ses néons.
… autant de détails qui, en fin de compte, ne génèrent quasiment aucune gêne. L’occasion de se rendre compte que le régime de consommation habituel d’électricité est plutôt une surconsommation, un gâchis phénoménal.
A la maison aussi, quelques gestes deviennent des habitudes rapidement : ne pas laisser d’appareils en veille. Chauffer l’eau à la casserole plutôt qu’à la bouilloire électrique.
Et de peur d’un nouveau tremblement de terre, fermer le robinet à gaz après chaque utilisation. Ranger le four, situé dangereusement en haut d’une étagère, quand on ne s’en sert pas.
Mais pour le moment, ça ne tremble pas. Mon cerveau me joue des tours à chaque instant, j’ai dû trop rejouer la scène du 11 mars dans ma tête. Je pense sentir une oscillation, je regarde le fil du plafonnier : il ne bouge pas.
Non, tout est normal. Ou presque.
Mais quand même, au karaoke, une chanson d’après-guerre a refait son apparition. Elle dit d’aller en avant, la tête levée, pour empêcher les larmes de couler. Elle dit que même seul dans la nuit, il faut marcher…
Merci pour cet aperçu M'zelle. Et puis nous à défaut de plafonnier, on surveillera du coin de l'oeil ton facebook "au cas où"...
RépondreSupprimerAh te revoilà petit Bigorneau. Merci pour ces nouvelles... Il me tardait de te lire de nouveau! Ca fait plaisir de te retrouver et d'avoir à travers ton regard des nouvelles fraiches du Japon.
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