vendredi 25 février 2011

Les bonnes manières du métro


Dans le train et le métro, au Japon, les « bonnes manières » à observer sont plus strictes qu’en France. En général, on essaye de se faire discret et de se tasser dans un coin, pour rendre la vie à peu près supportable dans des wagons souvent surchargés.

Afin de rappeler à ses usagers les règles de bienséance, la compagnie de métro de Tokyo a lancé depuis plus d’un an une campagne intitulée « please do it at home - 家でやろう » [faites-le à la maison], qui montre tout un tas d’attitudes à proscrire, suivie de « please do it again - またやろう » [faites-le encore] qui montre cette fois les bonnes conduites à adopter. Au rythme d’un par mois, de nouveaux posters viennent donc décorer les couloirs du métro et l’intérieur des wagons. En voici quelques-uns.

La série « please do it at home », d’abord. Tout un tas d’interdits, du plus évident au plus subtil :


  • ne pas s’étaler sur la banquette, prendre toute la place (et ne pas boire ni manger par la même occasion)


  • ne pas se maquiller dans le train (bon c’est vrai qu’on voit parfois des Japonaises sortir toute leur trousse à maquillage mais je vois pas qui ça peut gêner…)



  • ne pas cuver sa bière dans le train (j’en ai déjà vu des comme ça, mais ils sont pas en état pour lire les posters)

 

  • ne pas sortir le butin du shopping (en fait la femme à côté est juste aigrie et jalouse parce qu'on l'a dessinée avec des vêtements moches)







  •  ne pas… jouer au golf avec des flocons de neige ?! (apparemment non en fait ce sont juste des gouttes d'eau: ne pas arroser les voisins avec son parapluie mouillé...)

La multitude d’interdits ne s’arrête pas là, puisqu’on a aussi des posters pour : ne pas parler au téléphone, ne pas mettre ses écouteurs de musique trop forts, ne pas pique-niquer, ne pas boire entre amis, ne pas s’asseoir par terre dans le train, ne pas jeter ses mouchoirs par terre, ne pas bloquer les places prioritaires… et dans d’autres campagnes de pub j’ai aussi vu : ne pas cracher sur le conducteur, ne pas photographier sous les jupes des filles (ah ?)

… Et avec tous ces interdits, on a le droit de respirer ?? Tout juste ! Mais c’est mieux si on adopte les « bonnes » conduites. Et pour ça, hop, une nouvelle série de posters :

  •  baissez le volume de votre musique !

 
  • faites la queue pour entrer dans le wagon ! (là j’avoue que c’est pas bête, en France on est en tas et ça pousse comme des brutes pour entrer, ici en général c’est pas le cas et c’est appréciable)

  • aidez la vieille dame à attraper son sac (mais pourquoi l'autre femme a l’air si méchante ?!)


  • la meilleure pour la fin : éteignez vos téléphones à côté des places prioritaires et vous aurez trop la classe avec des petites étoiles (surtout si vous êtes blond).



Ces posters sont pour certains assez incongrus, mais quand même drôles en général. Surtout avec la tête du « Japonais de base » qui tire une tête de trois kilomètres ou qui ouvre des yeux de poisson.

Bon, on peut pas s’empêcher de se dire que c’est en grande partie pour avertir ces rustres d’étrangers qui dérangent tout le monde avec leurs grands gestes et leurs grosses voix : c’est traduit en anglais, et c'est pas le très faible nombre d'anglophones qui le justifie. Mais aussi, de façon plus subtile, dans la série des « bonnes conduites » les personnages n’ont pas l’air très Japonais (la grande femme aux cheveux bouclés, le blond…). L’idée semble être : « vous savez que les Japonais vous regardent de travers quand vous entrez dans le train (pfff encore un étranger, ça fait du bruit et ça comprend rien) alors épatez-les en étant superpoli ! ».

C’est pas méchant mais ça fait un poil tiquer quand même.

En plus là, tous ceux qui agissent « mal » ont l’air d’être des jeunes ou des étrangers et les pauvres gens incommodés par eux sont des vieux et des salaryman… Alors que je peux vous dire que ce sont pas les derniers pour pousser dans le tas et passer devant la file d’attente avec des ruses de sioux pour pouvoir s’asseoir !

Par contre, dormir sur son voisin et lui baver sur l’épaule (fait courant après 22h) apparemment ce n’est pas considéré comme impoli. Mouais.

dimanche 20 février 2011

Rions un peu avec les Nihonjinron

Au Japon, dans les librairies, il y a un rayon un peu particulier, intitulé « nihonjinron ». Littéralement, cela signifie « traité sur les Japonais » : en clair, des thèses sur les particularités des Japonais et de leur culture, écrites (très majoritairement) par des Japonais. Ces livres représentent des milliers de titres parus depuis les années 1960. Ils ressassent tous à peu près les mêmes idées, et sont extrêmement populaires : les « traits de caractères typiquement japonais » qui y sont décrits sont donc connus de presque tout le monde. Et la majeure partie des gens y adhère.
Dans ces livres de regardage de nombril, on apprend donc, par exemple, que la valeur japonaise par excellence est le « wa », l’harmonie : pas de conflit dans la société japonaise ! Les Japonais ont tous un « cœur » japonais, le « kokoro » : ils partagent tous une certaine sensibilité… corollaire : si vous êtes pas Japonais, vous ne les comprendrez pas, laissez tomber.
Ces écrits très sérieux vous apprennent aussi entre autres que si les Occidentaux sont doués pour l’esprit de synthèse, c’est parce qu’en Occident il y a des déserts. Au Japon, il y a des forêts : donc eux, c’est l’esprit d’analyse leur point fort. Autre perle : si les Occidentaux sont agressifs, c’est qu’ils mangent beaucoup de viande… Les Japonais eux mangent du riz, et le riz, c’est mou (enfin surtout le riz japonais) : d’où la culture du consensus et des rapports plus doux entre les gens.
Évidemment, ça sent le gros cliché à plein nez. Et c’est souvent teinté de nationalisme. C’est là que les problèmes commencent.
Car dans cette logique, les Japonais sont complètement différents du reste du monde. Différents, c’est-à-dire, pour beaucoup d’auteurs de nihonjinron : ils sont meilleurs.

Alors bon, on peut se dire que c’est pas pour autant que tous les Japonais croient dur comme fer à toutes les généralités qu’on peut trouver dans ces bouquins. D’ailleurs, ma coloc nie en bloc l’existence de tout ça : « Nihonjinron ? Jamais entendu parler ! ».

La semaine dernière en cours de japonais, notre prof nous a fait lire un texte de toute beauté dans le genre. L’auteur, apparemment très connu, y décrit quelques formules de politesse japonaise un peu difficiles à comprendre pour les étrangers… jusque là tout va bien. Puis il embraye d’un coup sur : « les Américains, quand ils cassent un verre, ils ne disent pas « j’ai cassé un verre » mais « le verre s’est cassé ». Comme si le verre s’était cassé tout seul. D’ailleurs j’ai demandé à des Européens et des Australiens et même des Chinois, ils disent pareil. Nous, Japonais, nous disons « j’ai cassé le verre », car nous assumons nos responsabilités. Nous reconnaissons nos torts quand nous cassons quelque chose. Peut-être qu’il n’y a que les Japonais au monde qui disent comme ça. N’est-ce pas merveilleux ? Je pense que c’est là la vertu des Japonais. »  (propos abrégés mais ce sont bien ces mots qui sont employés).
Passons sur le fait que c’est faux et qu’en français, en anglais et sûrement dans les autres langues aussi, il est tout à fait naturel aussi de dire « j’ai cassé un verre ».
Subtil, le jugement de valeur déguisé en leçon de grammaire ! Avec l’emploi du mot « vertu » et l’idée « il n’y a que les Japonais qui ont ce sens de responsabilité », ça fait un peu peur.
Cela dit, si mon prof nous a fait lire ce texte, c’était pour avoir nos avis (moi française et les autres élèves, russes et philippines) car il se doutait qu’on ne serait pas d’accord. Les gens n’avalent pas toutes ces idées prémâchées comme ça, en fin de compte. Enfin, au moins ceux qui ont l’habitude de travailler avec des étrangers.
Le truc, c’est que ce texte était sur le programme d’examen d’entrée d’un collège en 2005…
A ce rythme-là, les préjugés contre les étrangers ne sont pas près de disparaître au Japon.

dimanche 13 février 2011

Sazae-san


Que faire un dimanche soir à 18h30 ? Au Japon, on ne se pose pas la question : tout le monde regarde Sazae-san! Comment ça vous ne connaissez pas Sazae-san ?



Il s’agit d’un dessin animé, connu de tous les Japonais, et diffusé depuis 1969 tous les dimanches à la même heure. Une grande partie des foyers japonais sont donc branchés sur Fuji Terebi à ce moment et regardent religieusement les aventures de Sazae et de sa famille. C’est un moment qu’il ne faut pas louper (en général on le loupe pas vu que juste avant, il y a Chibi-Maruko chan, qui est un autre dessin animé rituel du dimanche soir, mais bon je l’aime moins donc j’en parlerai pas).


Créé par la dessinatrice Hasegawa Machiko (1920-1992), Sazae-san a d’abord été publié dans des journaux papiers : un journal local dès 1946, puis le Asahi Shimbun (l’équivalent du Monde), jusqu’en 1974. Il a été adapté en 1969 et ce sont, depuis, plus de 6000 épisodes qui ont été diffusés à la télévision. C’est toujours en cours, avec trois nouveaux épisodes par semaine, sans rediffusion.

Sazae-san est une jeune femme d’une trentaine d’années, et le dessin animé raconte les aventures qu’elle vit en famille : en effet, elle habite avec ses parents, son petit frère Katsuo et sa petite sœur Wakame, mais elle est aussi mariée et a un fils de 3 ans, Tara-chan. Tout ce monde habite sous le même toit… à l’époque à laquelle l’histoire a été créée, c’était le tout début des familles nucléaires au Japon (quand un couple habite seul avec ses enfants, sans la génération au-dessus). Le dessin animé a donc d’emblée été placé sous le signe d’un Japon en train de disparaître, celui des familles  élargies qui cohabitent. Rien d’étonnant non plus à ce que le mari de Sazae-san soit venu vivre chez sa femme et ses beaux-parents : cette pratique du « gendre adopté » se faisait beaucoup au Japon jusqu’aux années 50.

D’après Wikipédia, les histoires centrées sur Sazae dans le comic de départ présentent une femme émancipée et même féministe : une vision assez moderniste au Japon donc. C’est peut-être vrai, je n’ai pas lu la version papier. Cependant, dans ce que je vois tous les dimanches à la télévision, c’est le charme suranné d’une vie japonaise d’un autre temps qui transparaît. Les épisodes mettent en scène la vie quotidienne des 7 membres de la famille, sans oublier le chat. On voit leur vie de quartier, avec les voisins. Les intrigues sont d’une simplicité déconcertante, et se déroulent dans une bonne humeur paisible. La famille prend ses repas ensemble, tous assis par terre autour d’une table basse. Les hommes vont au travail, les femmes font à manger. Le respect des aînés est mis en avant, d'ailleurs le petit Tara-chan ponctue toutes ses phrases de -desu (normal, c’est le plus petit, il doit être poli avec tout le monde), même dans des phrases où ça ne veut rien dire du tout.



Le plus frappant, c’est que depuis 1946 les personnages n’ont pas vieilli. Et le Japon qui leur sert de décor n’a pas bougé. Le contexte historique est complètement mis à l’écart, peu d’éléments pourraient permettre de dire à quelle époque se déroule l’action. En tout cas, vous ne verrez aucun téléphone portable, et Sazae-san ne surfera jamais sur Internet.


C’est désuet, c’est mignon, et c’est aussi un peu tartouille : il n’y a qu’à voir les paroles du générique, qui disent entre autres « Tout le monde rit, le soleil aussi rit, lulululu, aujourd’hui aussi il fait beau ! ». En bref, un gros bol de nostalgie… Dans lequel les téléspectateurs japonais plongent en masse chaque dimanche soir. 

dimanche 6 février 2011

We don't care about music anyway

Je suis allée voir un documentaire un peu par hasard, parce que l’ami d’un ami était le réalisateur. Pas convaincue en entrant, mais complètement emballée en sortant. Je me suis dit qu’il fallait que je partage l’info, même s’il date déjà de 2009, pour le faire connaître, et éventuellement que vous ne passiez pas à côté si vous avez la chance de le voir. Ce documentaire, c’est « We don’t care about music anyway », de Cédric Dupire et Gaspard Kuentz.



Deux français donc, vivant au Japon et familiers de certaines scènes musicales expérimentales et avant-gardistes, qui ont choisi de dresser un portrait sonore halluciné de Tokyo. Le propos :

« une vision kaléidoscopique de Tokyo, confrontant musique et bruit, sons et images, représentation et réalité,  fiction et documentaire. […] Au-delà de la musique, et au-delà de la performance, se jouent l’avenir et les modalités d’existence d’une ville et d’une société entière. »

Des images saccadées et une bande-son qui grince, qui hurle, stridente jusqu’à la limite du supportable. Des artistes charismatiques et habités par leur recherche d’un son, d’une expression nouvelle. Il y a des déchetteries géantes, des buildings à perte de vue, des trains qui n’en finissent plus de se remplir, la rue envahie de hauts-parleurs, et, parmi les figures les plus marquantes, un violoncelliste, Sakamoto Hiromichi, qui fait subir mille tortures à son instrument pour en tirer les sons les moins « bourgeois » possibles (d’après ses mots). Ou Yamakawa Fuyuki, qui branche des capteurs sur sa peau, sur son cœur ou son nez, pour produire des rythmes en contrôlant son souffle et en tapant sur son crâne. Une autre vision qui reste longtemps en tête ; celle des « Umi no Yeah ! » qui jouent sur une plage de fin du monde, les amplis à fond entre les déchets, les éoliennes et les mouettes.

Ce qui vient à l’esprit c’est l’absurdité, la vacuité de toute l’agitation de Tokyo, comme une boule d'énergie géante qui tournerait à vide. Mais aussi la recherche du bonheur de quelques individus, par leur démarche de création. Tout ceci pourrait sembler un peu hermétique, mais dans plusieurs petites séquences, les musiciens réfléchissent sur eux-mêmes et donnent quelques clés. Yamakawa dit que le sens du bonheur des Japonais est « fin », léger… superficiel ? Ils étaient programmés pour un schéma rivé à la croissance économique de leur pays : avoir un bon travail, se marier, avoir des enfants, et aller faire les courses au supermarché ensemble le dimanche. Aujourd’hui pour eux c’est terminé, il n’y a plus rien à espérer de ce chemin tout tracé, alors leur but, c’est de trouver autre chose.

La réussite du film, c’est qu’il donne envie de chercher aussi.

La bande annonce :



Le site pour connaître les prochaines projections (festivals, salles de ciné indépendantes) : http://www.studio-shaiprod.com/wdcama.php

vendredi 4 février 2011

Setsubun

Au Japon, hier c'était setsubun! C'est une fête qui annonce l'arrivée du printemps, ou en tout cas la fin du tunnel hivernal. D'ailleurs c'est vrai qu'il a fait un peu plus doux aujourd'hui, et c'est pas désagréable, car ici, pas de chauffage central, autant dire que ces dernières semaines ont été rudes...

Cette année setsubun coïncide avec le Nouvel An chinois, mais ce n'est pas la même chose. Lors de setsubun, il faut faire deux choses :

- manger un maki géant, appelé ehô maki. C'est la partie de la tradition que j'ai respecté évidemment : quand j'ai vu ces énormes maki au supermarché, je n'ai pas pu résister. Pour ceux qui ne le savent pas, un maki c'est un rouleau de riz garni en son centre de poisson cru, ou de concombre, ou d'omelette, ou encore d'autres ingrédients, et enroulé dans une feuille d'algue nori. Normalement on coupe ce "tube" en rondelles, plus faciles à manger. Mais pour setsubun, il faut le manger en une seule fois, et sans parler, et afin de porter bonheur pour l'année à venir. 

Voilà mon ehô-maki qui m'a fait office de (gros) déjeuner : 


- la deuxième coutume du Setsubun consiste à faire le tour de sa maison et de jeter des haricots (pas n'importe lesquels, des haricots spécialement achetés pour ça) en criant "Oni wa soto!! Fuku wa uchi!!", ce qui signie : "les démons, dehors! le bonheur, dedans!". Il s'agit donc d'éloigner les démons, qui d'après les images que l'on trouve un peu partout, notamment au supermarché, ressemblent à ça : 


D'après une amie, cela se fait de moins en moins ; mais on trouve quand même des haricots partout et même dans les dessins animés, il y a un petit épisode "setsubun" cette semaine, avec une séquence de chasse aux démons.
L'anecdote qui m'interpelle, c'est que quand j'étais en voyage en Islande, un homme que j'avais rencontré m'a raconté que là-bas, la veille du Nouvel An, ils font le tour de leur maison en récitant une formule très proche, quelque chose comme "que les mauvais esprits s'en aillent et que seuls ceux qui veulent du bien à ma famille restent". Je trouve la proximité entre les deux vraiment frappante.

... A part ça, j'écris de moins en moins souvent ici mais je bosse de plus en plus : je multiplie les entretiens et ça me prend un temps fou pour transcrire, analyser, rebondir sur de nouvelles pistes... Déjà 4 mois et demi que je suis là, mais le travail à prévoir gonfle à vue d'oeil. Alors à bientôt... peut-être!